Maryse Morin draws on the fields of music, media arts and SENSORY anthropology, AND writes within THE liminal spaces OF ENCOUNTERS.

Sébastien Cliche La température de l’information

Sébastien Cliche La température de l’information

La température de l’information, CIRCA 2024. Crédit photo : Jean Michael S.

La température de l’information met en scène un dispositif fictif, génératif de traitement de données obsolètes, structuré par un mobilier de classement éphémère. Des livres, des photographies et des moulages de plâtre reposent dans des solutions d’eau saline, comme autant de spéculations archétypales encapsulées.

Tout au long de l’exposition, l’œuvre évolue à la façon d’une fiction poétique. Il en résulte une certaine esthétique de l’accumulation confrontée à l’oubli, dont les processus de cristallisation, de précipitation et de sédimentation sont porteurs de métamorphoses. Tel un alchimiste, l’artiste met en tension un ensemble de propriétés réactives qui induisent le devenir sculptural des archives. Il en va de même de nos mémoires vives, tout comme de celles endormies.

La température de l’information, CIRCA 2024. Crédit photo : Jean Michael S.

Le potentiel de transformation de l’œuvre soumet le visiteur à un avant et à un après sa présence au cœur du dispositif, à ce qui est sur le point d’advenir; une tension entre ce qui nous apparaît et ce qui nous échappe. Situant d’ores et déjà les archives dans la catégorie de la cristallisation, l’artiste vient en raviver le potentiel. Il y a (re)façonnage par l’exaltation de notre mémoire. Ultimement, c’est potentiellement en nous que se trouve la température de l’information.

Dans un contexte de dualité entre une économie de l’entreposage de la donnée et son potentiel d’usage ou de consultation future, celle-ci est catégorisée par l’opposition hot data et cold data. L’œuvre prend comme point de départ la masse croissante d’informations non-actives que l’on garde en mémoire, physiquement ou virtuellement. Ce regard plus large sur les enjeux liés à la sauvegarde de données est exploré au moment même où les ponts avec nos systèmes d’enregistrements biologiques s’arriment, tant bien que mal, aux développements technologiques.

Avec cette nouvelle création, Sébastien Cliche agit sur la notion de souvenirs et de data au-delà du paradigme infonuagique ou de la structure dédiée, vers leur devenir perpétuel. Plus qu’un simple prolongement de ses œuvres précédentes, la recherche en cours s’affranchit d’une thématique spécifique au profit d’une approche mnémonique des matériaux. Dans le contexte du lieu d’accueil, l’intervalle entre la matérialité des supports, la réalité immatérielle des transformations, ainsi que les processus et les matériaux qu’emprunte l’artiste pour donner forme à son dispositif, tous contribuent à l’émergence de liens métaphoriques.

Pourtant, la question du contrôle est omniprésente dans la pratique de l’artiste. Nous nous représentons généralement la notion de contrôle selon un rapport binaire tel que contrôleur/contrôlé, contrôlable/incontrôlable, contrôle positif/contrôle négatif où celui-ci est généralement perçu de façon négative – trop de contrôle – ou de façon positive – besoin/désir de contrôle. Par le biais de son dispositif, l’artiste devient à la fois réalisateur et acteur, parfois simple opérateur. C’est donc dans la rencontre des systèmes d’autorégulation, avec ou sans résolution, qu’il en situe l’intersubjectivité.

Dans La poétique de l’œuvre ouverte paru en 1962, Umberto Eco évoque la composition musicale Scambi d’Henri Pousseur où un nombre indéfinissable de transformations macroscopiques évoluent vers un même climax indéfini. La température de l’information, avec ses propriétés organiques à caractère performatif et ouvert, semble prendre comme point d’origine un similaire désir de transmutation. C’est avec doigté que l’artiste s’affaire à en activer les potentialités.

* Une première itération de La température de l’information fut menée et présentée à VU Photo à Québec.


Ragnar Kjartansson et le théâtre de l’intime

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